Réforme des collectivités : Jacques Cordonnier écrit à Édouard Balladur


Édouard Balladur

Édouard Balladur

Jacques Cordonnier

Jacques Cordonnier

Monsieur Edouard Balladur
Président du comité pour la réforme des collectivités locales
55 rue Saint Dominique
75007 PARIS

Strasbourg, le 6 février 2009

Monsieur le Premier Ministre,

Le comité pour la réforme des collectivités que vous présidez va bientôt rendre ses conclusions. L’estime personnelle que nous vous portons nous conduit à nous départir, un instant, du profond scepticisme que nous inspire l’annonce d’une nouvelle réforme des collectivités locales et à vous adresser ces quelques lignes.

Notre mouvement qui s’affirme comme mouvement régionaliste est tout naturellement porté à prêter une grande attention à vos travaux et à vos propositions. Le nom même de notre mouvement montre à la fois l’objet et la force de nos préoccupations. Connaissant l’objet des vôtres, nous ne voulons pas douter de leur force.

Sera-t-elle suffisante alors que n’existe pas, malgré des assertions répétées, une véritable volonté politique de changement ?

Comment croire…

Comment croire à la volonté de changement du gouvernement, alors que plusieurs parlementaires de l’UMP n’ont pas eu la courtoisie d’attendre la fin de vos travaux pour déposer leur proposition de loi ?

Comment croire aux déclarations d’intention de supprimer un échelon quand la presque totalité des responsables d’exécutif appartenant à l’actuelle majorité s’y oppose ?

Comment croire à la volonté de changement de la majorité lorsqu’on se souvient que le gouvernement issu de cette même majorité avait fait adopter la loi du 13 août 2004 relative aux libertés locales en recourant à l’article 49.3 et que le Ministre de l’Intérieur de cette époque, votre mandant aujourd’hui, modifiait le mode de scrutin des élections régionales pour écarter un pourcentage important d’électeurs de toute représentation dans les conseils régionaux ?

Nous pourrions donc clore cette lettre en vous souhaitant bon courage – vous n’en manquez pas – et bonne chance – elle ne vous a pas ignoré. Nos souhaits sont bien tels.

Nous voudrions cependant y ajouter l’expression de nos convictions quant aux conditions d’une réforme effective, génératrice de libertés et d’efficacité. Nous le ferons très brièvement.

Supprimer un échelon

Le président de la République a déclaré vouloir simplifier l’organisation administrative de la France et supprimer un échelon. Mais le mandat de votre comité n’est pas impératif, et vous avez annoncé que vous étudieriez toutes les hypothèses.

Du département ou de la région, quel est l’échelon appelé à disparaître ? L’Europe qui gagne aujourd’hui est celle des Régions, des Länder, des provinces espagnoles et ce, quelle que soit leur taille.

La simplification de l’organisation administrative du pays est une nécessité. En écoutant les réactions divergentes, souvent frileuses, de presque tous les responsables d’exécutifs locaux en France, on mesure la difficulté de votre tâche. L’idée souvent reprise de créer des Conseils territoriaux tout en conservant les départements et les régions, serait un comble et à l’exact opposé de votre mission.

Toute formule qui maintiendrait les budgets et les exécutifs des collectivités telles qu’elles existent aujourd’hui risquerait d’être considérée par les Français comme un leurre.

Une autre erreur serait de vouloir imposer une réforme territoriale uniforme. L’organisation administrative idéale ne peut pas être la même en Alsace qu’en Ile de France ou qu’en Rhône-Alpes.

La situation en Alsace

La fusion des deux départements alsaciens et de la région Alsace figure au programme de notre mouvement depuis vingt ans. Nous avons inlassablement œuvré dans ce sens au sein du Conseil régional lorsque nous y siégions. Cette idée qui semble neuve considérée depuis Paris, s’impose comme allant de soi auprès d’une majorité d’Alsaciens, et depuis bien longtemps. Une telle fusion – des assemblées et des administrations – avec un exécutif unique, répond parfaitement à la situation particulière de l’Alsace, marquée par une identité forte qu’expriment sa géographie, son histoire, son droit local, son dialecte, son patrimoine. Cette simplification aura à terme bien des conséquences heureuses, en particulier la réduction du nombre d’organismes satellites tels que comités d’expansion économique, comités de tourisme, chambres de commerces, Sociétés d’économie mixte et autres organismes en tous genres.

Et l’Europe, dans tout cela ?

Le droit à l’expérimentation introduit par la réforme constitutionnelle de 2003 aurait dû conduire les responsables des collectivités alsaciennes à entamer le chantier de la fusion. Ils n’ont pas voulu le faire, en dépit de déclarations qui n’étaient que d’intention. Ce que les responsables alsaciens n’ont pas entrepris eux-mêmes depuis cinq ans risque maintenant de leur être imposé par Paris.

Il conviendrait d’intégrer la dimension européenne dans le projet de réforme territoriale. L’Alsace, région frontalière, doit pouvoir institutionnaliser ses accords et ses projets de coopération avec ses voisins allemands et suisses.

Quant à l’idée de regroupement forcé de plusieurs régions en des ensembles plus grands, elle nous apparaît comme une abstraction dénuée de toute cohérence et de tout fondement. Nous espérons que votre comité saura faire litière de ce projet artificiel ou qu’à tout le moins il en préserve l’Alsace qui a déjà beaucoup donné au nom de la péréquation.

La réforme des collectivités, habillage d’une réforme électorale ?

Les pistes de réformes relevées ça et là depuis la mise en place de votre comité et l’hostilité unanime des parlementaires UMP à la suppression du département, ne laissent pas de nous inquiéter. Les responsables politiques semblent accorder plus d’importance à un nouveau changement du mode de scrutin qu’à la substance même des futures Assemblées territoriales.

« Cantonaliser » l’élection des futurs conseillers « territoriaux » et réduire encore ce qui reste du scrutin proportionnel serait un mauvais coup porté à la démocratie. Cela aboutirait à la fin des stratégies régionales prospectives au profit de la juxtaposition d’intérêts locaux.

Il faut au contraire revenir au scrutin proportionnel intégral, seul à même d’assurer une vraie représentation de toutes les sensibilités politiques et le respect de la parité hommes-femmes.

Une telle réforme ne pourra être parachevée que sur un temps longs, de plusieurs mandats. En Alsace, le première étape de la réforme pourrait être la création d’une assemblée régionale unique composée des membres des trois assemblées fusionnées, avec un exécutif unique.

En tout état de cause, une vraie réforme de la carte territoriale doit aussi régler la question du cumul des mandats. Le fait que de nombreux parlementaires soient en même temps conseillers généraux ou même présidents de conseils généraux est un archaïsme auquel il est temps de mettre fin.

Nous espérons en outre que votre comité rappellera la nécessité de passer par la loi et d’éviter à tout prix d’agir par décrets.

Clarification des compétences, clause générale de compétence

La fusion des départements et de la région aurait pour vertu de régler presque définitivement l’épineuse question de la répartition des compétences.

Mais si, malheureusement, cette fusion ne devait pas se faire, il y aurait alors un lourd travail de clarification des compétences à entreprendre.

La critique d’une certaine confusion dans la répartition des compétences est en grande partie fondée. Elle s’accompagne toutefois d’une dénonciation de la clause générale de compétence stigmatisée comme l’obstacle principal à une redistribution des compétences entre les collectivités. Une telle dénonciation est irrecevable. L’accroissement des dépenses des collectivités locales est dû, essentiellement, aux transferts de compétences mal compensés et non à un exercice inconsidéré de la clause générale de compétence. L’expérience montre d’ailleurs que c’est dans l’exercice des compétences facultatives et volontaires que se développent les projets les plus innovants et ceux qui répondent le mieux en termes de pertinence et d’efficacité aux attentes des administrés.

Restructuration de la fiscalité locale

S’agissant des moyens financiers, le poids de l’État est écrasant. Il a progressivement dessaisi les collectivités locales de leur pouvoir fiscal, les faisant dépendre, pour une bonne part de leurs ressources, des dotations qu’il leur octroie.

La réorganisation de la fiscalité locale est donc essentielle. La spécialisation des impôts locaux par collectivités n’est pas la bonne solution, et l’annonce de la suppression de la taxe professionnelle inquiète les élus locaux. C’est plutôt vers un reversement d’une partie des impôts d’État prélevés en région, par exemple la TVA, qu’il convient de s’orienter.

Subsidiairement, nous rappelons que l’État, fermier général des impôts locaux, impose à ce titre, un prélèvement de 8% sur les impôts payés par le contribuable local. Ce pourcentage est exagéré et sans commune mesure avec le coût réel du service rendu.

Ainsi va la vie des collectivités locales. Les travaux de votre comité permettront, peut-être, d’y apporter un peu de « clarification » et de « simplification ». C’est ce que nous espérons.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre parfaite considération.

Jacques Cordonnier
président du mouvement régionaliste Alsace d’Abord