Point de vue : « l’europhobie, le nationalisme des imbéciles », par Thomas Ferrier


Par Thomas Ferrier, secrétaire général du PSUNE

Thomas Ferrier, historien, cadre de la Fonction publique, Secrétaire Général du PSUNE

Crise de la zone €uro, effondrement des économies grecque et chypriote, annonce par le premier ministre britannique David Cameron d’un référendum sur l’Union Européenne pour 2016, une vague d’euro-scepticisme s’abat sur le vieux continent. Le bouc émissaire « UE » fonctionne à plein régime afin que les gouvernements se maintiennent au pouvoir sans que le peuple ne les désigne comme les principaux responsables de la crise et n’exige de manière musclée des explications.

On ne voit pas en quoi l’€uro aurait été responsable en 2010 de la ruine de l’Islande. On ne voit pas non plus en quoi l’€uro obligerait le gouvernement Cameron à mettre en place une politique de rigueur budgétaire extrême, alors que le Royaume-Uni a conservé la £ivre. Pourtant, aux yeux d’un marxiste comme Jacques Sapir, désormais principal soutien de Nicolas Dupont-Aignan, l’€uro est responsable de tout. Il est certes indéniable que l’€uro est la seule monnaie qui ne soit pas pilotée par un gouvernement et c’est son principal défaut. La monnaie unique implique la mise en place d’une gouvernance économique de la zone €uro qui, si on la souhaite démocratique, et elle ne peut que l’être si elle veut être pérenne, passe en réalité par la création d’un Etat européen unitaire, qu’on l’appelle « fédération européenne »,  « république européenne » ou « nation européenne ». Ainsi, le renforcement de l’€uro passe nécessairement par une Europe politique digne de ce nom.

Nigel Farage, un des leaders du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP)

Les souverainistes, europhobes par principe, profitent de cette instabilité monétaire, pour attaquer à nouveau la monnaie unique. Ils y sont opposés car ils ne veulent pas d’Europe politique, car ils veulent que l’Etat « national » conserve l’intégralité de ses anciens pouvoirs et parce qu’ils dotent la monnaie d’un pouvoir quasi magique. Ainsi, selon Marine Le Pen, seule la « dévaluation compétitive » permettrait de réindustrialiser le pays et de relancer la croissance. En fait, une monnaie ne peut plus être dévaluée, mais elle peut en revanche se déprécier. Les premiers perdants d’une dépréciation monétaire qui résulterait de l’abandon de l’€uro, ce sont les épargnants. Ceux-ci verraient la valeur et donc le pouvoir d’achat de leurs économies diminués de plus de 30% minimum, alors que dans le même temps les prix augmenteront de manière conséquente, la dette en montant sera considérablement augmentée, et le coût de l’essence également. Voilà la politique prétendument sociale que la droite nationale propose pour sortir le pays de la crise.

Si l’€ sert de bouc émissaire numéro un, c’est bien contre l’Union Européenne elle-même que se battent les souverainistes, c’est-à-dire les nationalistes europhobes, réduisant d’ailleurs leur opposition à l’immigration à la seule immigration intra-européenne. C’est notamment le cas du mouvement UKiP de Nigel Farage au Royaume-Uni, dont l’hostilité à l’UE est totale. Pour Farage en effet, soutenu en France notamment par Dupont-Aignan, le Royaume-Uni doit quitter purement et simplement l’Union Européenne afin de récupérer sa pleine souveraineté. Elle doit s’opposer à une prétendue « vague migratoire massive » en provenance de l’UE. Ainsi, le Royaume-Uni n’aurait donc aucun problème avec l’immigration issue de son ancien empire colonial et n’aurait aucun risque de terrorisme islamique. Contrairement à l’opposition à l’immigration non-européenne qui avait été celle d’un Mosley ou d’un Powell, UKiP ne s’oppose qu’à la venue de travailleurs européens, polonais, roumains ou bulgares, qu’une politique d’harmonisation sociale au niveau européen aurait suffit à dissuader, chacun préférant naturellement demeurer dans sa région d’origine si les conditions économiques s’y prêtent.

Jacques Sapir, économiste des plateaux de télévision, est un europhobe dogmatique

Enfin, Farage prétend que 75% des lois britanniques seraient dues à des décisions de l’UE qui n’auraient pas été soumises au vote des parlementaires. Le FN en France prétend que 80% des lois françaises seraient également communautaires. C’est mal connaître le système en fonction dans l’UE. Si les traités font qu’une directive européenne prime sur les lois nationales, elle doit pourtant être transposée dans ce droit national, ce qui implique un vote. Par ailleurs, l’UE n’a que les pouvoirs qui lui sont conférés par les traités communautaires, traités entre Etats souverains ayant comme objectif la mutualisation des objectifs et des moyens dans des domaines limitées aux questions économiques et de manière beaucoup plus limitée aux questions sociales. On peut estimer à 20% environ les lois françaises d’inspiration communautaire, et non à 80%.

L’Etat français, dirigé depuis l’été 2012 par François Hollande, est souverain. Le « mariage pour tous », le vote des étrangers extra-communautaires, la règle d’une imposition à 75% pour les hauts salaires, l’intervention au Mali, aucune de ces politiques n’est due à l’Union Européenne. Le lancement en 2005 du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE n’était d’ailleurs pas non plus dû à l’UE, mais bien au vote des Etats souverains l’autorisant. Ainsi, l’Allemagne et la Grèce n’ont pas osé mettre leur veto. Et l’Autriche a négocié l’abandon de son veto à une facilitation accordée à la Croatie pour rejoindre l’union. Il s’agissait donc bien d’une négociation entre Etats souverains et dans laquelle aucun gouvernement n’a voulu faire preuve d’autorité. Les souverainistes se gardent bien d’expliquer que l’UE est une Europe des Etats et en aucun cas l’embryon même d’une Europe fédérale, « monstre » absolu à leurs yeux, et pourtant seule véritable solution pour notre avenir, mais qu’aucun gouvernement, ni aucun grand parti, ne sont prêts à bâtir.

Cameron, sous la pression de UKiP, mais aussi pour négocier en position de force avant de déterminer le budget de l’Union, mettant ainsi sous pression le gouvernement français, et obtenant le soutien tiède de Merkel, a décidé de proposer un référendum sur l’appartenance de son pays à l’UE en 2016. Il est ainsi devenu, lui qui est pourtant un atlantiste ultra-libéral, un partisan du mariage gay, qu’il vient de faire voter par les parlementaires britanniques, et un homme favorable au multi-culturalisme, l’idole de l’extrême-droite en Europe. Florian Philippot (FN), Philippe de Villiers (MPF), Geert Wilders (PVV), Hans-Christian Strache (FPO autrichien), Rolf Annemans (Vlaams Belang), la Ligue du Nord italienne (LN), tous ont chanté en cœur « vive Cameron » et ont réclamé la tenue dans leur pays d’un référendum identique. Ainsi, ces formations ne se limitent plus à dénoncer l’€uro mais souhaitent purement et simplement la disparition d’une Union Européenne que certains d’entre eux qualifient de nouvelle URSS, tandis que les staliniens français du PRCF y voient au contraire un IVème Reich. L’europhobie de droite, incarnée par ces formations nationalistes, ou l’europhobie de gauche, représentée par l’extrême-gauche marxiste mais aussi par le trublion populiste italien Beppe Grillo, pensent profiter de la déception des Européens vis-à-vis d’une Union qui ne les protège pas, parce que simplement elle n’en a pas le pouvoir.

Hans-Christian Strache, chef du FPO autrichien, est anti-européen comme le sont beaucoup de dirigeants des partis populistes et nationalistes européens.

Les souverainistes de droite (nationalistes) font ainsi passer au second plan la raison principale du vote des électeurs en leur faveur, à savoir l’opposition à l’immigration extra-européenne, au profit de leur europhobie. Marine Le Pen propose la priorité nationale au lieu de l’exclusivité européenne, faisant primer les anciens colonisés devenus français aux ressortissants européens.

Si le RPF, désormais dirigé par Christian Vanneste, a su ne pas tomber dans le piège de l’europhobie, se limitant à réclamer la révision de Schengen et la mise en place du droit du sang en matière d’accès à la nationalité, il ne réclame ni l’abandon de l’€uro, ni la sécession de l’UE. En revanche, Debout La République (Dupont-Aignan) va très loin dans l’europhobie. Etudions brièvement ses propositions. DLR souhaite le remplacement de l’Union par une « coopération des Etats européens » (CEE), des Etats pleinement souverains qui mettraient en commun certaines politiques. Autant le dire tout de suite, ça ne marcherait pas. Il prône un partenariat avec l’Ukraine et la Russie, mais mises sur le même plan qu’avec la Turquie et le Maghreb. Les russes et les ukrainiens, qui sont des européens, n’auraient donc pas leur place dans cette Europe. DLR prône même une « Union méditerranéenne », comme si les pays européens n’avaient pas subi assez d’immigration et comme si ces régimes en cours de réislamisation étaient des partenaires fiables.

DLR prône également un soutien « particulier » à l’Afrique et à la francophonie. C’est la Françafrique, le « nouvel empire colonial », ni plus ni moins. Et s’il prône la réduction de 50% du nombre d’entrées d’immigrants, sans définir s’il s’agit d’européens ou pas, le statut des citoyens d’autres pays de l’UE n’étant pas évoqué, il évoque également la nécessité de « faciliter l’intégration des immigrés déjà présents ». C’est la politique du gouvernement Ayrault, ni plus ni moins, à savoir cet afrotropisme, qui amène l’armée française au Mali, et détourne la France de sa vocation européenne.

DLR se réclame du général De Gaulle, alors que Dupont-Aignan n’a absolument rien compris de la politique de son idole, qui était le contraire, à savoir « lourder le boulet colonial » et « réconcilier la France et l’Allemagne ».

L’UPR (Union populaire républicaine) d’Asselineau, qui est la formation politique la plus europhobe de notre pays, va encore plus loin. Asselineau, qui se réclame du programme du CNR de 1944, sans doute pour résister à l’Allemagne de Merkel, qui doit être à ses yeux encore dirigé par un célèbre moustachu autrichien, on ne peut pas faire plus ringard, prône ainsi la sortie de l’UE et de l’OTAN (sur ce dernier point, on peut être d’accord, si et seulement si c’est au profit d’une armée européenne), l’abandon de l’€uro, une politique de renationalisation d’entreprises, et la réorientation des fonds structurels européens et d’Erasmus vers les Etats francophones, c’est-à-dire essentiellement les Etats africains de l’ancien empire colonial, au nom de la « mission universelle » qu’aurait la France. C’est tout à fait contraire aux intérêts des Français.

En Europe centrale et orientale, c’est la germanophobie et la russophobie qui règnent. Le PiS de Kaczynski ou le tchèque Vaclav Klaus, qui va quitter la présidence de son pays, sont les deux. En Europe occidentale, certains politiciens attisent également la germanophobie, encourageant de la sorte la montée de l’europhobie en Allemagne, europhobie qui ne se traduit pas encore, heureusement, par des succès électoraux pour des formations souverainistes, même si Rolf Schlierer (REP) explique que « l’euro a échoué et notre bien-être commun est en danger » et que l’UE aurait coûté 200 milliards d’€uros aux allemands. Berlusconi lui-même s’attaque à l’Allemagne. L’idée que notre voisin d’Outre-Rhin aurait une vocation hégémonique sur l’Europe, vue de l’esprit quand on sait à quel point Berlin craint sa propre volonté de puissance et aime à se fustiger pour son passé, est simplement mensongère.

Le Front National de Marine Le Pen est la formation politique la plus représentative de cette « nouvelle » europhobie qui essaie de déferler sur l’Europe. Sous l’influence de l’ex-chevènementiste Philippot, elle tend à abandonner le discours anti-immigration (implicitement extra-européenne) que le FN défendait depuis des années, au profit du « tout souverainiste ». Même si certains analystes politiques expliquent qu’un FN souverainiste ne ferait pas 5% des voix, l’idée d’imiter Geert Wilders est la plus forte. Son discours, qu’elle veut plus social, se résume à la dénonciation permanente de l’Union Européenne et de l’€uro et à une complicité de plus en plus évidente avec le gouvernement « socialiste ». Elle soutient ainsi la volonté de nombreux membres du PS de rétablir une circonscription nationale unique aux élections européennes en France. L’€uro est aux yeux de « Marine » responsable de tous nos malheurs, et en particulier du chômage. Il n’y a pas pire démagogie, une démagogie sans risques judiciaires et qui ne nécessite pas de courage sur des sujets qui fâchent.

La dédiabolisation « mariniste » implique le remplacement d’une idéologie « ethniste » par le souverainisme, qui troque l’ « identité nationale » au profit de la « souveraineté nationale ». Quand « Marine » se réjouit des résultats d’un sondage IPSOS qui montre que 70% des français considèrent qu’il y a trop d’étrangers en France et que 74% d’entre eux que l’islam est une religion intolérante, en prétendant que cela démontrerait que les Français se reconnaissent dans son projet, elle oublie que 72% veulent que la France reste dans la zone €uro.

L’europhobie du FN c’est par exemple cette déclaration de Steeve Briois : « A l’heure où l’horizon de M. Hollande se résume à aller s’incliner à Berlin devant les maîtres de l’Europe, nous nous rangeons résolument dans le camp d’Albion. Perfide ou pas». On y retrouve à la fois la germanophobie classique de l’extrême-droite réactionnaire avec en outre un bien étrange soutien à l’immigrationniste David Cameron. « Marine » croit qu’elle pourra profiter d’une vague d’euroscepticisme pour s’imposer électoralement et rêve de la disparition de l’€uro, qui lui donnerait l’image d’un visionnaire l’ayant annoncé à ses concitoyens. Le RIF en 2010, devenu sous le nom de SIEL l’allié du FN, dénonçait déjà la « soumission à l’Allemagne ».

Que l’€uro fort soit plutôt favorable à l’Allemagne, dans la mesure où celle-ci peut toujours vendre ses produits à ses partenaires européens (60% de ses échanges sont avec l’UE), ce qui implique qu’elle a intérêt à leur salut, qui implique le sien, est un fait. L’Allemagne en est consciente et a été prête à assumer ses responsabilités en proposant une véritable Europe politique. La France de Hollande préfère lui rire au nez. Il n’est alors pas étonnant qu’elle se montre distante, sachant que Merkel doit aussi tenir compte de sa propre opinion publique. Pour autant, lui prêter une volonté de domination est absurde. Mais l’accusation n’est pas portée par hasard, puisqu’elle a pour but de séparer la France et l’Allemagne, prétendant qu’elles n’auraient pas de destin commun. C’est le meilleur service qu’on puisse rendre aux Etats-Unis d’Amérique.

On devine que la campagne europhobe de Declan Ganley en 2009 avait probablement un financement outre-atlantique. On sait également que beaucoup de dirigeants européens ont été formés aux USA, et Geert Wilders est un atlantiste invétéré. Le choix de cibler davantage l’islam que l’immigration extra-européenne est sa spécificité. « Marine » là encore a tenté de l’imiter, avec un succès mitigé, d’autant plus que sur la question de l’islam, elle souffle le chaud et le froid.

Comment peut-on expliquer cette europhobie obsessionnelle qui est devenue le combat principal de la « droite nationale » ? Est-ce la manifestation du nihilisme européen que dénonçait déjà Nietzsche, de cette incapacité chronique à penser l’unité civilisationnelle et politique de l’Europe, et qui a amené aux tranchées de 1917 et aux charniers de 1943 ? L’explication la plus probable est que, dans un contexte médiatique où l’opposition à l’immigration non-européenne est un positionnement courageux mais risqué, encourant des accusations de racisme, il leur est plus facile de taper sur une Union Européenne aux pouvoirs très limités.

Ma théorie est que plus ces formations nationalistes axeront le cœur de leur combat contre la construction européenne, plus elles seront laxistes sur la problématique migratoire. Le Vlaams Belang l’illustre remarquablement, puisque son nouveau président Gerolf Annemans condamne officiellement le programme anti-immigration de son parti, les fameux « 70 points » de 1992. A un moment donné, leurs électeurs vont se rendre compte du décalage entre leurs préoccupations et celles mises en avant par ces partis. Ce décalage ne peut à terme qu’amener à leur décrochage électoral et à l’avènement de nouvelles formations politiques plus en adéquation avec le souci de préserver l’Europe, son peuple et l’identité de ce dernier.

Qui est contre l’idée d’Europe politique est un ennemi des Européens et un agent de ceux qui veulent notre perte. Il n’y a pas de solution nationale à la crise du continent européen, une crise économique et sociale certes, mais aussi une crise démographique, une crise morale et une crise migratoire. Ce qui fonde le succès de la si détestable Aube Dorée à Athènes, c’est la conjugaison de tous ces maux. Et il n’y a pas non plus de solution nationaliste à cette crise, bien au contraire, puisque le nationalisme est un symptôme de la maladie et non le signe d’une prochaine guérison.

Seul un européisme authentique, attaché résolument à l’européanité de l’Europe et à la préservation de ces identités subsidiaires, envisageant les solutions à l’échelle continentale, sans en oublier la Russie, peut garantir demain aux Européens, y compris les plus fragiles, un avenir optimiste. Le souverainisme est un mensonge, mais c’est aussi un suicide. S’y opposer ne signifie en rien cautionner la politique médiocre qui domine l’Union Européenne actuelle, mais qui n’est que le reflet des gouvernements des Etats, des oligarchies politiques et économiques qui président pour le moment, et pour notre malheur, à nos destinées. C’est ambitionner pour l’Europe, et pour l’Union Européenne, un destin glorieux. C’est œuvrer pour une nouvelle Renaissance de l’Europe. Les ambitions misérables des « petty nationalists » dont « Marine » est l’une des plus représentatives, mais bien loin d’être la seule en ce domaine, sont un chant des sirènes dont l’écoute amène au naufrage.

http://thomasferrier.hautetfort.com/archive/2013/02/17/l-europhobie-le-nationalisme-des-imbeciles.html