Confier au préfet Marx une mission sur l’Alsace…


Confier au préfet Marx une mission sur l’Alsace,
c’est comme demander à un Khmer rouge

un rapport sur les droits de l’homme*

 

Jean-Luc Marx, préfet du Grand Est et du Bas-Rhin

Le premier ministre Édouard Philippe vient de confier à Jean-Luc Marx, préfet du Grand Est et du Bas-Rhin, une mission sur l’avenir de l’Alsace. Il est regrettable que depuis deux ans, les responsables et élus alsaciens n’aient pas réussi à se mettre eux-mêmes d’accord sur l’avenir de l’Alsace et à devancer l’initiative du Premier ministre. Maintenant nous y voilà, c’est un représentant de l’État qui est chargé de dessiner les contours de notre avenir. Jean-Luc Marx est un esprit fin, mais dont l’intelligence et la détermination sont au service exclusif de l’État centralisé. Dans quelques années, il sera nommé ailleurs et oubliera complètement l’Alsace, indifférent aux dégâts qu’il y aura causés.

Le préfet Marx n’est pas impartial

Le préfet, dans cette affaire, est tout sauf neutre. Certes, la lettre de mission excluait formellement la sortie de l’Alsace du Grand Est. Seulement voilà, avant même de recevoir sa lettre de mission, le Préfet Marx avait déjà pris position contre la sortie du Grand Est, outrepassant son rôle de Préfet. C’est peut-être pour cela qu’il a été choisi. En tout cas, cela augure mal de l’issue de sa mission et des transferts de compétences qu’il préconisera.

Il est d’ailleurs curieux de voir presque tous les élus alsaciens, de gauche comme de droite, se réjouir de la mission confiée au préfet. Il y aura des bernés dans quelques mois, c’est mathématique. Le légitimisme, le civisme et la déférence des élus alsaciens, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant.

C’est l’audace qui manque le plus

Brigitte Klinkert, présidente du CG 68 et Frédéric Bierry, président du CG 67, encadrant le premier ministre Édouard Philippe

Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry, les présidents des deux Conseils généraux, ont raison d’œuvrer en faveur de la fusion des deux départements. Mais ils se trompent dans le choix des compétences dont ils réclament le transfert, ils se trompent aussi quand ils omettent de parler des ressources correspondantes. Et ils se trompent encore dans le choix même du nom de baptême des Départements fusionnés : « Entité Alsace », « Collectivité à statut particulier » et autres expressions ampoulées servent surtout, pensent-ils, à ne pas froisser Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Jean-Luc Marx. Pourquoi ne pas parler simplement et fermement de « Région Alsace » ou encore plus court, de « l’Alsace » ? Une Alsace qui serait pour le moment encore incluse dans la Région Grand Est mais avec des domaines de compétences différents et étendus. Car enfin, Macron et Philippe ne sont pas élus à vie et le contexte politique peut fort bien évoluer, dans quelques années, vers une extraction de l’Alsace hors du Grand Est.

Ne pas rater le prochain référendum

François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, entre Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry

La fusion des Départements passera par un référendum. Il faut l’organiser maintenant. Pourquoi attendre ? Si Brigitte Klinkert et Frédéric Bierry veulent un référendum victorieux, il ne leur suffira pas d’aller se faire photographier à Paris, souriants, aux côtés du Premier ministre ou du président de l’Assemblée nationale. Ces audiences et ces déplacements à Paris pourraient même se révéler contre-productifs. Dans les négociations à venir, il y aura inévitablement des oppositions conflictuelles entre Paris et l’Alsace. Les discussions seront forcément rugueuses. Ce que voudront alors les Alsaciens, c’est être vraiment défendus face à Paris.

Quelles compétences pour « l’Alsace » ?

Bierry, Klinkert, les députés Furst et Straumann, et de nombreux responsables politiques alsaciens demandent le transfert du Grand Est à l’Alsace des compétences en matière d’enseignement bilingue et de développement économique. C’est notoirement insuffisant. Il faut pour commencer que nous recouvrions la clause de compétence générale, c’est-à-dire le pouvoir de traiter tous les sujets que nous déciderons de traiter. Les Départements fusionnés gérant déjà les collèges doivent aussi demander et obtenir la responsabilité des lycées, de l’apprentissage et gérer les interventions de toutes les collectivités dans l’enseignement supérieur. Le pôle enseignement doit revenir à l’Alsace car rien n’est plus important que l’enseignement et la formation, et le bilinguisme en fera naturellement partie. À cela, devront s’ajouter les champs de compétence concernant l’économie, le tourisme, le transfrontalier, la culture et le sport. En ce qui concerne les routes, soyons prudents. Les transferts de charges peuvent être un piège redoutable.

Avec quelles ressources ?

Les députés Éric Straumann et Laurent Furst

Le Président de la République a lui-même annoncé une future réforme du financement des collectivités territoriales. Eh bien, soit. Proposons-lui de remplacer le système sclérosé des dotations de l’État par l’affectation à l’Alsace d’une fraction de la TVA qui y est collectée. Ainsi, nous ne serons plus dépendant des caprices d’un gouvernement, mais des performances économiques de l’Alsace.

Nouvelle collectivité, nouveau mode de scrutin

Et si les Alsaciens se décident enfin à tracer eux-mêmes les contours de leur avenir, ils devront surtout éviter d’emporter dans leur nouvelle aventure les scories du passé. Il faudra jeter au orties le système  artificiel des « binômes » par canton et mettre en place un nouveau mode de scrutin pour élire les futurs « Conseillers ». Un mode de scrutin équilibré reposant sur la représentation proportionnelle comme le système qui était en vigueur pour les élections régionales jusqu’en 2004.

La difficile négociation avec les énarques

Pour y parvenir, les négociateurs alsaciens devront se montrer pugnaces. Ils ont en face d’eux une équipe d’énarques – Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Bruno Lemaire sont tous trois anciens élèves de l’ENA. Ces intégristes de la religion jacobine sont incapables d’imaginer des solutions différenciées selon les régions, sauf… lorsqu’ils ont affaire à des défenseurs résolus de leur région. Mais pour le moment, les seuls qu’on entend à la radio et qu’on voit sur les chaînes de télévision se nomment Siméoni et Talamoni !

Jacques Cordonnier

*Le titre de ce texte est la paraphrase d’une citation de Laurent Lafforgue, brillant mathématicien, médaillé Field sans lavallière, qui avait fait preuve de lucidité lors de sa nomination en 2005 au Haut Conseil de l’Éducation.